mercredi 25 mars 2009
lundi 9 mars 2009
Table d’harmonie
Ce matin là, comme à chaque fois que j’entre dans l’atelier, le pas de porte m’accueille des fragrances fortes qui imbibent les murs de chaux blanche : colle de peaux, gomme arabique, vernis à l’alcool, tripoli, popote, mais aussi les odeurs de poussière d’ébène, d’érable et d’épicéa… Sans oublier cet indéfinissable parfum ramené de la plaine du Pô, qui vit grandir Crémone, et que quelques célèbres lombards érigèrent en capitale historique de la lutherie.
Passé le bain des odeurs, au second pas après la porte, c’est le camaïeu de teintes chaudes qui prend le dessus. La pâle lumière de l’arrière cour, filtrée par les petits carreaux de l’atelier plonge dans un jeu clair obscur les violons et autres altos sagement pendus aux fils de nylon. Entre les ébauches de bois blanc finement poncé, et les manches noirs d’ébène, les instruments se déclinent en autant de jaunes, d’ambres, d’oranges, de bruns et de rouges que les multiples couches successives de vernis parviennent à inventer. A cela ajouté les armées fièrement alignées de manches de gouges, de ciseaux à bois, de môles à éclisses, de gabarits et de contre formes, je ne serais pas surpris de voir surgir de l’ombre, entre deux altos et une volute de violoncelle, Guarneri, Amati ou encore le trop célèbre Stradivari.
Je me suis assis ce matin là, au bout de l’établi que Jean-Pierre consent à partager depuis quelques semaines. Je dois continuer ma table d’harmonie. Quelques jours auparavant, Jean-Pierre avait saisi deux planches d’épicéa, en avait évalué la résonance en les cognant avec la première phalange de son majeur. Après avoir assemblé par le champ ces deux trapèzes, j’avais alors tracé le contour de la table à l’aide d’un gabarit hérité de Stradivarius, puis débité la forme. Ma table d’harmonie arbore déjà fièrement ses épaules et l’arrondi de ses hanches, mais il faut maintenant s’attaquer au plus difficile, sculpter la voûte et son épaisseur, c’est ainsi que, de rabot en rabot, j’en termine à la noisette, ce minuscule rabot pas plus gros qu’un taille crayon que seuls trois doigts parviennent à tenir.
Il faut dire que la table d’harmonie d’un violon requiert la plus grande des attentions dans la vie d’un luthier…
La volute, finement sculptée, symbolisant une feuille d’automne qui s’enroule, n’a de valeur qu’esthétique et pourrait bien être remplacée par une… tête de lion… Par exemple. Ce n’est que la figure de proue de l’instrument !
La touche, les chevilles et le cordier, soumis aux tensions et à l’abrasion des cordes, sont choisis en ébène tout simplement parce que cet exotique au noir profond veiné de blanc révèle de grandes résistances mécaniques à l’usure.
Quant au fond et aux éclisses… Laissez-moi rire ! De l’érable ! Pardonnez-moi l’expression, mais a-t-on connu plus vulgaire bois de sabotier. Au XVI° siècle, les luthiers devaient s’en contenter faute de mieux, les autres essences étaient jalousement réservées pour des constructions nobles et utiles ! Les artisans du bois boudèrent d’ailleurs longtemps l’érable, ce bois plein de flammes à contre fil qui éclatent au moindre coup de rabot ou de gouge. Une pièce d’érable, on ne sait jamais dans quel sens la travailler. Du vulgaire bois de sabotier vous dis-je !
Mais la table… Elle… La table d’harmonie !… Vous voyez bien… Ce dessus de violon finement galbé, ajouré de deux ouïes très fines en forme de S. Ça s’appelle la table d’harmonie. La table d’harmonie, c’est le marbre de toutes les valses, le tapis de toutes les prières, le tarmac de toutes les destinations. La table d’harmonie, c’est elle qui va transmettre et diffuser les vibrations à tout l’instrument, elle qui va lui donner sa couleur, son caractère, son impétuosité et sa douceur, sa générosité et ses caprices de diva. Qu’elles soient de tristesse ou de joie, un violon ne verse des larmes que par sa table d’harmonie…
Saviez-vous que plus un violon est joué, mieux il sonne… Le violon aurait-il une mémoire ? C’est un peu comme s’il avait la capacité à se souvenir des plus jolies notes, des plus somptueuses mélodies, pour les jouer toujours plus riches, plus amples, plus généreuses. C’est parce que les ondes vibratoires générées par l’archet sur les cordes, puis par le chevalet, vont restituer toujours plus d’harmoniques en exploitant toujours au plus profond le réseau de fibres de bois de l’épicéa. Et oui !… C’est l’épicéa qui a été choisi pour fabriquer les tables d’harmonie. Et là, pas question de négocier avec un quelconque sabotier. La sélection de l’épicéa se fait par le luthier de façon quasi cérémonielle. Il en appréciera les différentes qualités, selon qu’il vienne d’Allemagne, d'Autriche, des Vosges ou du Jura. Le bois sera ensuite sonné pour en apprécier ses qualités acoustiques, puis mis au séchage lent en lieu sûr, afin de ne maltraiter aucune fibre.
Saviez-vous que l’épaisseur d’une table d’harmonie n’est pas constante, et qu’il faut, pour la sculpter, suivre un relief de cotes très précis, de l’ordre du 1/10 de millimètre, et qu’il convient de vérifier au comparateur à cadran à chaque coup de noisette.
Saviez-vous qu’une fois la table d’harmonie finie, observée en pleine lumière, elle doit laisser apparaître des transparences et des opacités différentes, mais très régulières dans leurs transitions !
Saviez-vous que la table d’harmonie est si fine, qu’elle doit être soutenue, en un point précis de sa voûte, par un petit cylindre de bois que l’on nomme l’âme. Et qu’au millimètre près, son ajustement peut transformer le plus beau des Stradivari en une horrible casserole…
Saviez-vous que le fin liseré marqueté qui souligne le contour de la table, n’a pas de valeur qu’esthétique. Pas du tout ! Si un musicien maladroit vient à cogner ou faire tomber son instrument, on favorise une cassure sur le bord du violon, et on préserve du coup la table d’harmonie.
Saviez-vous que malgré tout, lors de tensions trop fortes des cordes, la tables d’harmonie peut se fracturer… Ce qui arrive malgré tout ! Et bien on ne change pas une table qui s’est harmoniquement enrichie avec le temps. Surtout pas ! Le luthier va creuser très proprement une petite cuvette dans l’épaisseur du bois, puis tailler et ajuster au 1/10 de millimètre près une petite pièce pour ainsi réparer ce qu’on appelle une « fracture d’âme »
Et oui ! Les violons ont une âme. Et, si cette minuscule colonne soutenant la voûte de la table d’harmonie n’évoque pas non plus les plus anciens des temples construits par l’homme, c’est que je n’ai rien compris à la musique !
samedi 7 mars 2009
Senelle - Grands bureaux
Là-haut sur mes terres natales
Dans ce coin de Lorraine qu'on nomme le Pays-Haut
Pour que coule la semence minérale
Des hommes ont perforé la terre
Transformant des plateaux ferrifères
En vallées aciérophages
Là-haut sur mes terres natales
Dans ce coin de Lorraine qu'on nomme le Pays-Haut
Pour que coule l'argent de l'acier
Des hommes ont enchainé des esclaves
Aux monstres de métal des hauts-fourneaux
Pour bâtir des cités de fer
Là-haut sur mes terres natales
Dans ce coin de Lorraine qu'on nomme le Pays-Haut
Pour que s'écoulent les filières rentables
Des hommes ont fait taire les machines
Abandonnant des vallées en friches
Et des populations en proie au désespoir
vendredi 6 mars 2009
Chez Jeannot
« Comment ? Tu n’es pas encore allé chez Jeannot ? »
Et bien non ! J’étais dans le village depuis deux mois à peine et je n’avais toujours pas rencontré Jeannot. Et à force d’en entendre parler, j’étais même intimidé par la simple idée de me retrouver face à cet incontournable personnage du village. J’ai fini par passer chez lui après un rendez-vous organisé par une tierce personne, un dimanche matin, pour faire une balade en VTT. Il faut dire que ça m’arrangeait bien, je ne connaissais pas du tout les forêts alentours et l’idée de me perdre dans le massif vosgien ne m’enchantait guère.
Il avait une bonne tête Jeannot et puis il riait facilement. Il m’est apparu sympathique tout de suite, il n’y a que son vélo qui me faisait un peu pitié. La balade s’est révélée fort agréable. Déjà il ne roulait pas vite, mais en plus il connaissait le moindre chemin, la moindre pierre, le moindre rond de champignons. Au fil de la montée, il me désignait ici une source claire, là une tourbière secrète ou là encore les ruines de la ferme de la vieille Mogotte. Tout ça sentait bon le terroir et l’histoire locale…
Du coup, j’y suis retourné souvent chez Jeannot. Il faut dire que chez lui, la cafetière est toujours sur le coin du gaz. Et puis Jeannot, c’est le garagiste du village et peut-être le dernier garagiste de village du monde. Et comme dans le village il n’y a plus ni bistrot ni commerce, les hommes se donnent rendez-vous chez Jeannot, dans son garage. Ca se rassemble autour du vieux poêle à bois et ça refait le monde. Et Jeannot, entre une vidange, un joint de cardan et un radiateur, il écoute tous ces bavardages. Depuis qu’il n’y a plus de curé dans le village, les gens vont chez Jeannot comme ils vont à confess… Il y a toujours du monde chez Jeannot, à croire que le village est le théâtre de tous les pêchés du monde. Il n’y a que quand il doit faire une courroie de distribution qu’il aime être tranquille, alors dans ce cas, et uniquement dans cas, il ferme la porte du garage…
Il règne dans le garage de Jeannot une ambiance particulière. Les lumières qui traversent les vieilles vitres pas souvent propres donnent aux vieux outils accrochés aux murs des reflets particuliers. D’ailleurs à propos d’outils, dans le garage de Jeannot c’est un peu le choc des générations. L’antique tour à courroies, la vieille perceuse à colonne, les tourne à gauche en bois et autres vieilles clés hors d’usage côtoient un ban d’équilibrage électronique quasiment neuf et les toutes dernières clés à cliquet. Parfois, j’aurais bien envie de fouiner dans tous ces vieux tiroirs qui doivent receler des objets mystérieux mais je n’ai jamais osé. Par contre, mon gamin y a déjà trouvé une belle collection de billes parmi tous les roulement hors d’usage qui débordent d’une caisse en carton. C’est vrai que mon gamin aussi, il adore aller chez Jeannot.
Jeannot, il est garagiste depuis qu’il est tout petit. J’ai cru comprendre qu’il avait repris la suite de son père. Il a commencé à bosser tôt, et c’est même pas sûr qu’il ait tout le temps cotisé comme il fallait. Il paraît que parfois il s’inquiète un peu pour sa retraite. Certains jours, quand on arrive devant le garage, la porte est grande ouverte mais on n’entend ni le compresseur ni le bruit de la clé à choc, alors on se dit « tiens ! Il doit être au café avec un ramuzou… !! ». On jette un œil par la fenêtre de sa cuisine et on ne voit personne… Alors on passe son chemin ! Faut pas l’embêter ! A coup sûr il est derrière le garage. Chut ! C’est un secret ! Faut le dire à personne mais Jeannot, la mécanique il aime pas trop. Son truc c’est plutôt le jardinage. Quand il en a marre des soupapes et des culbuteurs, il file dans sa serre et s’occupe amoureusement de ses plantes. C’est une vraie encyclopédie vivante sur tout ce qui peut sortir de terre. Devant chez lui, il y a la plus belle collection de bruyères que j’ai jamais vue… Quand on regarde les mains de Jeannot, on croit qu’elles sont noires, et bien c’est pas vrai du tout. Les mains de Jeannot elles sont vertes. Pas étonnant que tout le monde l’aime bien Jeannot. Quand on aime la nature comme lui, forcément, on aime les gens.
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